Le droit à un environnement sain : un levier juridique pour accélérer la décarbonation
Face à l’urgence climatique, le droit à un environnement sain s’impose comme un outil juridique puissant pour contraindre États et entreprises à réduire drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre. Décryptage des enjeux et des stratégies émergentes pour faire de ce droit fondamental un moteur de la transition écologique.
Les fondements juridiques du droit à un environnement sain
Le droit à un environnement sain trouve ses racines dans plusieurs textes internationaux fondateurs. La Déclaration de Stockholm de 1972 affirme pour la première fois que l’homme a un droit fondamental à « des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être ». Ce principe est ensuite repris et développé dans de nombreux instruments juridiques, comme la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 ou la Déclaration de Rio de 1992.
Au niveau européen, la Convention d’Aarhus de 1998 consacre le droit de chacun de « vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être ». La Charte de l’environnement, adossée à la Constitution française en 2005, reconnaît quant à elle que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
Plus récemment, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté en 2022 une résolution historique reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain à part entière. Cette consécration au plus haut niveau international renforce considérablement la portée juridique de ce droit et ouvre la voie à de nouvelles possibilités pour son application concrète.
Les liens entre droit à un environnement sain et lutte contre le changement climatique
Si le droit à un environnement sain ne se limite pas à la question climatique, il entretient des liens étroits avec les enjeux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, le changement climatique menace directement la qualité de l’environnement et la santé humaine à travers ses multiples impacts : multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes, élévation du niveau des mers, perte de biodiversité, etc.
Plusieurs juridictions ont déjà établi ce lien dans leurs décisions. Ainsi, dans l’affaire Urgenda aux Pays-Bas en 2019, la Cour suprême a jugé que l’État avait l’obligation de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25% d’ici fin 2020 par rapport à 1990, sur le fondement notamment du droit à la vie et du droit au respect de la vie privée et familiale garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.
De même, dans l’affaire Neubauer et autres c. Allemagne en 2021, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a estimé que les dispositions de la loi sur la protection du climat de 2019 étaient partiellement inconstitutionnelles car elles ne prévoyaient pas de mesures suffisantes pour réduire les émissions après 2030, violant ainsi les droits fondamentaux des jeunes générations.
Les stratégies juridiques émergentes pour faire valoir le droit à un environnement sain
Face à l’inaction des États et des entreprises, de nouvelles stratégies juridiques se développent pour faire respecter le droit à un environnement sain et accélérer la réduction des émissions de carbone. On peut distinguer trois grands types d’actions :
1. Les recours contre les États : de plus en plus de citoyens et d’ONG saisissent les tribunaux pour contraindre leurs gouvernements à adopter des politiques climatiques plus ambitieuses. C’est le cas par exemple de l’Affaire du Siècle en France, qui a abouti en 2021 à la condamnation de l’État pour carences fautives dans la lutte contre le changement climatique.
2. Les actions contre les entreprises : les contentieux se multiplient également à l’encontre des grands groupes industriels, notamment pétroliers et gaziers. L’affaire Milieudefensie et autres c. Royal Dutch Shell aux Pays-Bas en 2021 a ainsi conduit à la condamnation de Shell à réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici 2030 par rapport à 2019.
3. Les plaintes devant les instances internationales : certains requérants choisissent de porter leurs revendications devant des organes supranationaux. Un groupe de jeunes portugais a par exemple saisi la Cour européenne des droits de l’homme en 2020 contre 33 États européens pour leur inaction face au changement climatique.
Les défis de la mise en œuvre effective du droit à un environnement sain
Malgré ces avancées prometteuses, la mise en œuvre concrète du droit à un environnement sain se heurte encore à plusieurs obstacles. L’un des principaux défis réside dans la définition précise du contenu de ce droit et des obligations qui en découlent pour les États et les acteurs privés. Quelle qualité environnementale minimale doit être garantie ? Comment mesurer et contrôler son respect ?
La question de l’accès à la justice environnementale constitue un autre enjeu majeur. De nombreux pays ne disposent pas encore de mécanismes juridiques adaptés permettant aux citoyens de faire valoir efficacement leur droit à un environnement sain. Les coûts et la complexité des procédures peuvent également dissuader les potentiels requérants.
Enfin, l’application des décisions de justice reste problématique dans certains cas. Même lorsque les tribunaux reconnaissent des violations du droit à un environnement sain, les États ou les entreprises condamnés peinent parfois à mettre en œuvre les mesures ordonnées, faute de volonté politique ou de moyens suffisants.
Perspectives : vers une constitutionnalisation du droit à un environnement sain ?
Pour renforcer l’effectivité du droit à un environnement sain, de nombreux juristes et militants plaident pour son inscription dans les textes constitutionnels nationaux. Cette constitutionnalisation permettrait de lui conférer une valeur juridique supérieure et d’en faire un principe directeur de l’action publique.
Plusieurs pays ont déjà franchi le pas, comme l’Équateur qui a reconnu dès 2008 les droits de la nature dans sa Constitution. En France, un projet de loi constitutionnelle visant à inscrire la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er de la Constitution est actuellement en discussion.
Au niveau international, certains appellent à l’adoption d’un Pacte mondial pour l’environnement qui consacrerait le droit à un environnement sain comme norme contraignante du droit international. Si ces initiatives aboutissent, elles pourraient considérablement renforcer les outils juridiques à disposition pour accélérer la transition écologique et la réduction des émissions de carbone.
Le droit à un environnement sain s’affirme comme un levier juridique puissant pour contraindre États et entreprises à agir face à l’urgence climatique. Son application concrète soulève encore de nombreux défis, mais les avancées jurisprudentielles récentes et les initiatives en faveur de sa constitutionnalisation laissent entrevoir des perspectives prometteuses pour en faire un véritable moteur de la décarbonation de nos sociétés.